Copier-coller d'un article paru le 14 janvier 2023 sur Internet : Pourquoi « Le monde sans fin », la BD de Jean-Marc Jancovici fait-elle tant polémique ? (huffingtonpost.fr)
BD en question : « Le monde sans fin » de Jancovici et Blain chez Dargaud (juillet 2021).
Relire mon article au sujet de cette BD lien : https://vallabrixbm.blogspot.com/2022/08/le-monde-sans-fin.html
Pourquoi « Le monde sans fin », la BD de
Jean-Marc Jancovici fait-elle tant polémique ?
14 janvier
2023
SCIENCES - « Jean-Marc Jancovici essaie de toucher le grand public, ce qui nécessite certaines approximations. On ne se les permettrait pas dans un texte scientifique. » Christian Simon, enseignant-chercheur à la Sorbonne revient pour Le HuffPost sur la polémique autour de la bande dessinée Le monde sans fin, de l’auteur Christophe Blain et de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici. Un ouvrage qui a tant cartonné qu’il est devenu la meilleure vente de livre en France de 2022 ; plus de 600 000 exemplaires ont été écoulés depuis sa sortie en octobre 2021.
Des chiffres qui attestent de l’envie des Français de comprendre « (leur)
rapport ambigu à l’énergie et ses conséquences sur le réchauffement
climatique », expliquait mercredi 4 janvier Stéphane Aznar,
directeur général de Dargaud, l’éditeur de la BD, sur France Inter. Mais cet engouement dénote aussi
des inquiétudes des Français, entre craintes de coupures d’électricité et
explosion des prix de l’énergie liée à la guerre
en Ukraine.
Ce contexte d’incertitude participe au succès de la BD, qui donne justement
une grille de lecture simple (simpliste disent ses détracteurs) pour comprendre
les enjeux de notre avenir énergétique. Or, si cet effort de vulgarisation est
plébiscité par de nombreux chercheurs, d’autres déplorent un manque de rigueur
dans le fond. Contacté par Le HuffPost, Jean-Marc Jancovici n’a pas
voulu s’étendre sur cette polémique qui selon lui « n’est pas le
point central du livre ».
Un ouvrage de vulgarisation scientifique efficace
Sur la forme, la bande dessinée d’un peu moins de 200 pages a reçu bien des
éloges, même de la part de ses détracteurs. « Dans cet ouvrage
illustré de très nombreux schémas explicatifs, souvent humoristiques, les
auteurs passent leurs messages (...) toujours en des termes très
accessibles », complimente l’ingénieur François-Xavier Martin dans un
article publié dans la revue spécialisée La Jaune et La Rouge. « Jean-Marc
Jancovici parle de la physique avec des mots simples, c’est ça qui plaît »,
complète auprès du HuffPost Emmanuelle Galichet,
enseignante-chercheure en physique nucléaire au Cnam.
François-Xavier Martin ajoute que « jusqu’à la
page 125 », la BD « traite de sujets irréfutables ou
largement consensuels », comme notre dépendance aux énergies
fossiles (charbon, pétrole, gaz). « Le pétrole et le gaz servent à
faire fonctionner les machines qui fabriquent tous les objets qui t’entourent », rappelle
par exemple Jean-Marc Jancovici à la page 78. « 64 % de
la production d’électricité mondiale provient des énergies fossiles »,
dénonce-t-il encore page 103.
![]() |
« Le monde sans fin » « Le pétrole et le gaz servent à faire fonctionner les machines qui fabriquent tous les objets qui t’entourent » page 78 © Fournis par Le Huffington Post |
En revanche, la seconde partie du livre axée sur la nécessité de décarboner notre mix énergétique et le remplacement des énergies fossiles par le nucléaire, a fait l’objet de nombreuses critiques.
Rectifications sur les réseaux sociaux
Les premiers à dénoncer le best-seller sont des ingénieurs qui se sont
rapidement lancés dans des analyses critiques de la BD sur les réseaux sociaux.
Paul Neau a notamment recommandé des textes écrits par des experts des
questions énergétiques pour prendre de la hauteur par rapport au livre, comme
vous pouvez le lire dans le tweet ci-dessous. Le consultant
indépendant Stéphane His a, lui, publié sur son compte LinkedIn une série de notes pour rectifier
presque page par page le travail de son homologue Jean-Marc Jancovici.
Des activistes pour le climat se sont aussi mobilisés. Un groupe d’anonymes a par exemple distribué de faux textes d’excuses dans des librairies dénonçant les propos « pro-nucléaire » véhiculés dans le livre. Enfin, côté politique, EELV s’est saisi du débat. Sa secrétaire nationale Marine Tondelier a martelé dimanche 8 janvier sur France Inter : Jean-Marc Jancovici « ment beaucoup » dans cette BD.
« De son point de vue, une éolienne, c’est un moulin »
Pour comprendre, il faut avoir à l’esprit que l’ouvrage aborde une question
explosive : quelle part doit prendre le nucléaire dans le bouquet
énergétique de demain ? Deux camps s’opposent : ceux qui pensent que la
proportion du nucléaire, qui représente aujourd’hui 70 % du mix
énergétique français, doit diminuer au profit des énergies renouvelables. Et
ceux, comme Jean-Marc Jancovici, qui disent qu’elle doit absolument rester
l’énergie dominante.
C’est pourquoi dans Le Monde sans fin, l’ingénieur ne
lésine pas dans la critique des énergies renouvelables. Elles « restent
diffuses, peu denses, et demandent beaucoup de ressources et beaucoup de
place », critique-t-il par exemple page 126.
Le chercheur Christian Simon ajoute que le livre a le mérite de donner un
autre regard sur les énergies renouvelables, souvent trop idéalisées selon lui
par la population française. « Il est important que le grand
public sache que l’éolien et le photovoltaïque ne suffisent pas à couvrir les
besoins énergétiques d’un pays développé. »
Au contraire, l’ingénieur François-Xavier Martin qui est de ceux pour qui
le nucléaire doit être panaché aux renouvelables, reproche à Jancovici de
manquer cruellement de contradiction. « Le lecteur est
enfermé dans une logique cherchant à convaincre que, si l’Humanité ne veut pas
régresser par rapport à l’époque où elle pouvait disposer pratiquement sans
limites des énergies fossiles, le passage par l’énergie nucléaire
s’impose », détaille-t-il dans un article. « De son point de vue,
une éolienne, c’est un moulin », concède d’ailleurs Emmanuelle
Galichet.
Omission des énergies renouvelables ?
Sauf que pour les acteurs du secteur de l’énergie, les renouvelables sont
essentiels à la décarbonation du mix énergétique en France. C’est ce qu’affirme
par exemple Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE, le principal
gestionnaire du réseau électrique français, dans le podcast « Chaleur Humaine » du Monde. Il
explique ainsi que pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de
serre, « il faut diminuer notre consommation d’énergie et
augmenter celle d’électricité, ajoutant que l'on "ne peut pas boucler
cette équation seulement avec le nucléaire ».
Dans l’exposé de six scénarios pour une
électricité bas-carbone en 2050 publié en février 2022, RTE soulignait
d’ailleurs l’impossibilité d’« atteindre la neutralité carbone (...)
sans un développement significatif des énergies renouvelables ». Des
trajectoires établies à la suite de concertations avec des ONG, des syndicats,
des universitaires et des entreprises. Et donc représentatives d’une forme de
consensus.
Angélisme autour du nucléaire
Par ailleurs, l’expert François-Xavier Martin reproche aux bulles de
Jancovici traitant du nucléaire d’être « trop rassurantes ».
Dans la BD, l’ingénieur évoque notamment l’accident de Fukushima
en 2011, indiquant qu’il n’a pas fait de mort.
La filière nucléaire ne compte qu’un accident grave, Tchernobyl, « qui a provoqué la mort immédiate de 31 personnes », affirme encore Jancovici. Ce bilan, qui ne prend en compte que les décès immédiats, fait l’objet de nombreux désaccords entre les autorités de sûreté du nucléaire. « Et quid des milliers de personnes déplacées, des zones contaminées, des coûts des catastrophes estimés entre 200 et 500 milliards d’euros. Après l’accident de Fukushima, l’économie d’une région entière a été dévastée », riposte, lui, le consultant Stéphane His dans un article.
![]() |
« Le monde sans fin » « Paradoxalement, Tchernobyl est devenu une réserve naturelle où vivent de grands animaux qui avaient quasiment disparu », écrivent Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain page 140. © Fournis par Le Huffington Post
« Paradoxalement, Tchernobyl est devenu une réserve naturelle où
vivent de grands animaux qui avaient quasiment disparu », écrivent
Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain page 140.
« Le message de fond de cette BD est un appel à la sobriété »
Mais au-delà du débat provoqué par certains chiffres présentés dans
l’ouvrage, c’est surtout le message de fond transmis qui dérange certains
experts. En présentant le nucléaire comme la solution miracle, et a contrario
les énergies renouvelables comme peu efficaces, « le lecteur peu
compétent risque d’être influencé », déplore François-Xavier
Martin.
Emmanuelle Galichet, elle, n’est pas de cet avis. Certes, « certains
propos peuvent être perçus comme pro-nucléaire, mais le message de fond de
cette BD est un appel à la sobriété. Jancovici explique bien que ni le
nucléaire ni les énergies renouvelables ne seront suffisantes et qu’il faudra
faire des efforts pour réduire notre consommation d’énergie ».
Or, alors que les énergies renouvelables sont jugées indispensables dans
les scénarios de RTE, une BD lue par des centaines de milliers de Français
aurait dû, selon les chercheurs qui la critiquent, exposer tous les avantages
et inconvénients du nucléaire. Pour ces détracteurs, si les auteurs de la BD se
voulaient impartiaux, ils ne devraient par exemple pas occulter le coût
faramineux et les délais de mise en fonctionnement des EPR -celui de Flamanville,
en chantier depuis 2007, devrait frôler les 13 milliards
d’euros- ou encore aborder la difficile gestion des déchets radioactifs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire