Détente : Ci-dessous un "Copier-coller" d'un article de France Info paru le 10 août 2020.
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/chloroquine/comment-une-etude-fumeuse-sur-les-trottinettes-et-l-hydroxychloroquine-a-pu-etre-publiee-dans-une-revue-scientifique_4073359.html#xtor=EPR-51-[comment-une-etude-fumeuse-sur-les-trottinettes-et-l-hydroxychloroquine-a-pu-etre-publiee-dans-une-revue-scientifique_4073359]-20200817-[bouton]
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/chloroquine/comment-une-etude-fumeuse-sur-les-trottinettes-et-l-hydroxychloroquine-a-pu-etre-publiee-dans-une-revue-scientifique_4073359.html#xtor=EPR-51-[comment-une-etude-fumeuse-sur-les-trottinettes-et-l-hydroxychloroquine-a-pu-etre-publiee-dans-une-revue-scientifique_4073359]-20200817-[bouton]
Comment une étude fumeuse sur les trottinettes et l'hydroxy
chloroquine a pu être publiée dans une revue "scientifique"
Quatre plaisantins
ont publié un canular dans l'"Asian Journal of Medicine and
Health" pour prouver son manque de sérieux. L'article mensonger a été dé-publié mais derrière le fou rire, l'objectif était surtout de dénoncer
l'insuffisance du contrôle éditorial au sein de cette revue.
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Des trottinettes électriques
stationnées à Berlin (Allemagne), le 10 août 2020. (JENS KALAENE /
DPA-ZENTRALBILD / AFP).
Mis à jour le 18/08/2020 | 08 :15
publié le 17/08/2020 | 11:01
publié le 17/08/2020 | 11:01
L'hydroxy chloroquine (HCQ) peut-elle prévenir les accidents de
trottinettes ? Cette épineuse question a fait l'objet d'un article paru dans la revue Asian Journal of Medicine and Health (AJMH),
samedi 15 août, qui présente le résultat de trois études censées démontrer
l'efficacité de la molécule pour réduire le nombre de morts imputables à ce
mode de transport.
Les deux premières ont été menées "depuis la chaise de
bureau (Ikea) des auteurs" et se penchent sur le nombre
d'accidents de trottinettes en France en relation avec la consommation d'une
combinaison HCQ et azithromycine. Dans la troisième étude, menée sur "un parking abandonné de Montcuq" (Lot),
les auteurs affirment avoir demandé à des participants de se lancer à grande
vitesse sur une pente en direction d'un mur de briques. Les conclusions sont
sans appel : "La combinaison HCQ et azithromycine
devrait être utilisée pour prévenir les accidents de trottinettes dans le monde",
voire "tous les problèmes du monde".
Dans ce texte digne des Monty Python, émaillé d'irrévérences, les auteurs
s'en donnent à cœur joie. Groupe témoin traité à l'homéopathie, signature d'un
certain professeur F. Hantome – "de l'université du
Melon" –, critique d'un supposé lobby "Big Trottinette" (en référence à "Big Pharma") financé par
l'enseigne Décathlon… Les quatre auteurs remercient également Didier Raoult – "sans qui rien ne serait possible" – puisque
le thème du canular s'inspire d'ailleurs des
propos du microbiologiste en février dernier ("moins de morts que par accident de trottinette").
Nous avons reçu le président de la
République pour discuter des résultats et il était ravi. Les auteurs du canular
dans l'"Asian Journal of Medicine and Health"
L'article estime que les effets de l'hydroxy chloroquine "doivent être éclaircis" mais
qu'il y a urgence à la "prescrire
largement" pour éviter des morts à trottinette. Le texte
égratigne au passage quelques travers actuels comme le
"cherry-picking", cette tendance à prendre en compte uniquement les
publications ou les données qui confortent une idée préconçue. "L'étude 2 a été exclue de l'analyse et de cet article,
car elle n'aboutissait pas à des résultats intéressants (i.e. les résultats que
nous attendions)", écrivent ainsi les auteurs. Difficile de
croire qu'un tel canular ait pu passer entre les mailles du filet. Et
pourtant... Voici le genre de passages présents dans l'article.
Pouvons-nous publier quelque chose dès
maintenant ? Je pense que la question, elle est vite répondue, et de toute
façon, la relecture par les pairs n'a jamais été une méthode scientifique. Les auteurs du canular
dans l'"Asian Journal of Medicine and Health"
La plaisanterie a été partagée de très nombreuses fois sur les réseaux
sociaux, suscitant l'hilarité générale. Mais comme toutes les bonnes choses ont
une fin, l'article a été dépublié une trentaine d'heures après publication,
dimanche, en raison "de signalements [relatifs
à une] fraude scientifique". Le texte reste
toutefois disponible à cette adresse et une traduction est disponible en français ici.
Dans un précédent article, France info s'était déjà penché
sur l'Asian Journal of Medicine and Health, placé dans le
giron de Science Domain International, une société basée au Bengale-Occidental
(Inde). Cette obscure revue avait mis en ligne une étude controversée sur le
bénéfice supposé de l'hydroxy chloroquine pour traiter le Covid-19. Le texte
était signé notamment par l'endocrinologue Violaine Guérin et la députée
Martine Wonner, membres du collectif "Laissons les médecins
prescrire", dont les auteurs du canular se moquent en inventant leur
propre collectif : "Laissons les vendeurs de trottinettes prescrire".
Cette étude observationnelle avait essuyé de nombreuses critiques
méthodologiques, au point de relancer le débat sur les revues dites
"prédatrices", qui offrent peu ou pas de contrôle sur la qualité des
articles. Le phénomène est bien connu des chercheurs, qui reçoivent chaque jour
des spams les invitant à rédiger des articles pour de nébuleuses revues au nom
ronflant. Celles-ci fonctionnent sur le modèle économique du chercheur-payeur,
puisque les auteurs doivent verser des "frais de traitement des articles"
(APC, "article processing charges") pour être
publiés – 85 dollars dans cet exemple.
Mais ces revues n'ont que faire de la qualité des contributions. En
réalité, elles se contentent de reprendre le fonctionnement de revues très
sérieuses qui ont fait le choix du libre accès ("golden open access"),
afin d'éviter aux lecteurs de coûteux abonnements. Ces revues dites
"prédatrices" encaissent donc les APC sans offrir le contrôle
éditorial attendu dans un contexte académique.
Dans le cas de l'article sur les trottinettes, l'avis de relecture par les
pairs (peer-review), qui liste les corrections, n'avait pas été mis en ligne
dans un premier temps – une mauvaise habitude de l'AJMH déjà soulignée début août – mais France info a
tout de même pu consulter le document.
Ironie du sort, il y a bien eu relecture. Et les deux réviseurs anonymes ont
d'ailleurs multiplié les critiques sur la forme, sans jamais réellement
interroger le non-sens absolu de la méthode et du projet. "Ils partent directement sur une révision mineure, sur des
détails, et pas sur une révision majeure, c'est-à-dire sur le principe même de
l'étude", explique Michaël Rochoy, l'un des auteurs du canular,
à France info. Les corrections elles-mêmes sont négligées. Quand l'éditeur lui
demande de modifier le copier-coller d'une infographie du Parisien, le médecin se contente par exemple
d'appliquer un filtre rouge sur la figure. Validé.
L'une des trois figures de
l'article détourne une illustration du "Parisien" pour les
besoins du canular. (AJMH)
Comme le souligne Elisabeth Bik, spécialiste d'intégrité scientifique, l'un
des deux éditeurs a réclamé le rejet du manuscrit avant d'être remplacé par un
autre, qui n'a formulé aucune objection particulière. "De tels articles révèlent un côté sombre de l'édition
scientifique", conclut-elle dans un post de blog (en anglais).
Selon Michaël Rochoy, ancien chef de clinique et lui-même auteur d'articles
par le passé, ce canular aurait "dû être immédiatement
rejeté et valoir aux auteurs d'être blacklistés". Mais les
revues prédatrices n'ont pas ces scrupules, d'autant qu'elles encaissent les
frais de traitement uniquement lors de la publication. Cela peut expliquer le
succès du canular imaginé par nos pseudo-experts ès trottinettes, également
composé du doctorant en biochimie Mathieu Rebeaud, du médecin Valentin Ruggieri
et du philosophe Florian Cova.
Ce petit groupe informel, né sur les réseaux sociaux, semble donc avoir
démontré par l'absurde le manque de sérieux évident de l'Asian Journal of Medicine and Health.
Nous n’étions pas certains que ce soit une
revue prédatrice. L'objectif était donc de la tester. Avec cette publication,
on tacle l'étude déjà parue mi-juillet sur l'hydroxy chloroquine et on se marre
en même temps. Michaël
Rochoy, médecin et coauteur du canular à France info
Cet exemple montre que le journal semble a minima disposer
d'une politique de rétractation, du moins quand il fait les frais d'un article.
Contacté par nos soins, début août, l'AJMH avait
pourtant assuré combattre le phénomène des "revues prédatrices" malgré "des moyens limités".
La députée Martine Wonner, co-autrice d'un article dans cette revue, affirmait
à France info "avoir autant confiance dans cette revue
que dans le Lancet", prestigieuse
revue dupée au mois de mai par une étude faussée sur l'hydroxy chloroquine,
avant une rétractation. Contacté à nouveau après le canular, l'AJMH n'a pas encore répondu à France info.
Ce n'est pas la
première fois que de tels canulars cherchent à prouver le caractère douteux
d'une revue. En 2018, un article consacré aux "parasites
intergalactiques et leur transmissibilité dans une simulation
zygirionienne" avait paru (en anglais) dans la
revue ARC Journal of Pharmaceutical Sciences, malgré ses
références évidentes à la série américaine de science-fiction Rick & Morty. La morale de cette histoire revient à un
célèbre philosophe cité dans l'étude sur les trottinettes : "Comme le
grand scientifique Jean-Claude Dusse l'a dit : 'On sait jamais, sur un
malentendu, ça peut marcher."
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