vendredi 4 novembre 2022

Sobriété ?

 Ci-dessous, "Copier-coller" d'un article du 6 octobre 2022 concernant la sobriété selon la président Macron.


« Sobriété » : Macron s’approprie le mot, pas son contenu

Le président de la République s’est approprié le terme de « sobriété », tout en le vidant de sa portée subversive. Rien d’étonnant : réduire notre empreinte écologique suppose des mesures de justice et une redéfinition des besoins qui vont à l’encontre du logiciel marconiste.

Fabien EscalonaMickaël Correia et Jade Lindgaard

6 octobre 2022 à 14h45

C’est le mot de la rentrée. Depuis qu’Emmanuel Macron a appelé les Français et les Françaises à « être au rendez-vous de la sobriété », il est sur toutes les lèvres. Promis dès cet été par le chef de l’État, un « plan de sobriété énergétique » est ainsi détaillé par le gouvernement jeudi 6 octobre. Afin de conjurer le risque de pénuries de gaz et d’électricité cet hiver, l’objectif fixé consiste en une réduction de 10 % des consommations énergétiques du pays d’ici à 2024, par rapport à 2019.

« Nous vivons la fin de l’abondance », avait également estimé le président de la République à la fin du mois d’août, suscitant alors les sarcasmes de celles et ceux qui ont constaté l’absence de volonté de son gouvernement à agir contre les consommations de ressources les plus ostentatoires, qu’il s’agisse des trajets aériens en jet privé ou de l’arrosage des golfs en pleine sécheresse.

Celui qui fustigeait le modèle amish face aux critiques de la cinquième génération de réseaux mobiles (la fameuse « 5G ») a-t-il été frappé par la grâce écolo ? Devant tous les indices attestant du contraire, faut-il rejeter son appel à la sobriété comme l’énième ruse d’un modèle néolibéral à bout de souffle, au service d’une répartition toujours plus inéquitable des biens et des souffrances dans la société ?

Avant de trancher, il est nécessaire de revenir sur le sens initial du mot sobriété et d’observer les distorsions que lui fait subir le pouvoir actuel.

© Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart

De manière générale, la sobriété suggère un comportement de modération et l’autolimitation dans les désirs que l’on cherche à satisfaire. Sans remonter à l’Antiquité, durant laquelle les épicuriens défendaient une telle conception de ce que serait « la vie bonne », on peut constater que la sobriété est intrinsèquement liée à la pensée et à l’activisme écologistes qui se sont développés à partir des années 1970.

« Il y a plusieurs piliers à la pensée écologiste, explique Mathilde Szuba, maîtresse de conférences à Sciences Po Lille. On y trouve la protection de la nature, une distance critique vis-à-vis de la technique, mais aussi la conviction qu’il existe des limites écologiques à la croissance, et qu’il est nécessaire de s’organiser pour brider les tendances qui risquent de détruire notre monde commun. Pour désigner cet impératif de retenue, d’autres termes que “sobriété” ont plutôt été utilisés, par exemple ceux de “convivialité”, d’“échelle humaine” ou de décroissance. »  

Plusieurs auteurs, qui ont inspiré la galaxie écolo, ont placé ces thèmes au cœur de leur œuvre. C’est le cas d’Ivan Illich (1926-2002), qui a insisté sur les dépendances nouvelles, voire les « contre-productivités » qui pouvaient naître d’un progrès technique mal maîtrisé. Autrement dit, l’absence de limites politiquement construites à l’innovation permanente est de nature à se retourner contre l’autonomie des personnes, c’est-à-dire leur capacité à décider de leur existence. 

Plus proches de nous, et parfois contestés pour les aspects conservateurs ou scientifiquement contestables de leurs plaidoyers, on peut également citer des figures comme Serge Latouche, apôtre de la décroissance et de la frugalité comme art de vivre, ou Pierre Rabhi, promoteur de la « sobriété heureuse » auprès du grand public. Eux aussi se sont dressés contre la démesure et l’illimitation propres à nos sociétés contemporaines, et leur cortège de coûts sociaux, psychologiques et environnementaux.

Depuis les années 1970, la sobriété ne peut plus être comprise uniquement sous l’angle de la vertu individuelle.

Luc Semal, politiste

La pertinence de ces réflexions a été redoublée par la documentation de plus en plus précise, ces 50 dernières années, des dérèglements du système Terre dans son ensemble, imputés avec de plus en plus de certitude aux activités humaines telles qu’elles ont été configurées depuis la naissance du capitalisme et surtout la révolution industrielle.  

« Ce qui change dans les années 1970, confirme Luc Semal, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, c’est le fait que la sobriété ne peut plus être comprise uniquement sous l’angle de la vertu individuelle. Une problématique globale émerge : celle de la finitude des ressources et de la capacité d’encaissement limitée des écosystèmes. Autrement dit, même si vous êtes vertueux, les comportements des autres risquent de vous faire subir de toute façon le réchauffement climatique. »

À des degrés différents selon les penseurs concernés, l’écologie politique a ainsi lié sobriété collective et sobriété individuelle dans sa conception de la transformation à engager. « La sobriété heureuse est devenue impossible dans un monde de démesure énergétique », résume Mathilde Szuba. 

Certes, le premier choc pétrolier de 1973 a suscité de véritables politiques d’économies d’énergie, contemporaines du développement de la mouvance écolo. Parmi les voisins européens de la France, certains ont même recouru à du rationnement pur et simple. « Les Pays-Bas ont par exemple rationné le carburant pour les automobilistes sur les mois de janvier et février 1974, raconte la politiste lilloise. Sans rationnement, les pénuries s’accumulent d’abord sur les plus faibles. Mais s’il est bien anticipé et organisé, ce peut être un moyen très juste de répartir la contrainte. »

Une affiche « chasse au gaspi » de 1979.

Il reste que ces expériences n’ont été que de courte durée. Et quelques années plus tard, lors du second choc pétrolier en 1979, la sobriété n’a été promue, du moins en France, que sous l’angle individualisant de la fameuse « chasse au gaspi ». « Ce cadrage était très pauvre, car tout le monde est contre le gaspillage », commente Luc Semal.

Le même chercheur ajoute que durant les deux ou trois décennies suivantes, la question des économies d’énergie n’a plus été posée en termes de réduction de la consommation, mais à travers une focalisation sur les gains d’efficacité (comment produire plus avec la même quantité d’énergie). 

Or, ces gains d’efficacité ont été eux-mêmes gaspillés, d’une certaine manière, par l’augmentation des usages et des biens produits – le fameux « effet rebond ». Et pendant ce temps, aucune transition énergétique n’a véritablement eu lieu : les consommations des différentes sources d’énergie se sont ajoutées, plutôt que substituées, les unes aux autres (voir notre émission sur le sujet).

Un tournant s’est cependant produit dans les années 2000, qui s’est prolongé jusqu’à aujourd’hui. La sobriété – et le mot pour la nommer – a percé dans les milieux écolos grâce à l’expertise fournie par négaWatt, une association travaillant à des scénarios pour mettre en œuvre « une transition énergétique réaliste et soutenable ».

Sur le site de ce collectif, les trois axes de la stratégie qu’il promeut sont clairement identifiés : une substitution des énergies renouvelables aux énergies carbonées, la poursuite des gains d’efficacité énergétique, mais surtout la sobriété, c’est-à-dire une réduction nette de la consommation énergétique en la concentrant sur des besoins identifiés comme prioritaires.

La sobriété est le seul axe qui ne soit « pas une solution technique », remarque Luc Semal, et qui « questionne les besoins en assumant de revoir à la baisse notre niveau de confort énergétique ». L’impératif de sobriété, qu’il ait été défendu sous ce mot ou d’autres termes, est ainsi devenu le marqueur d’une écologie politique exigeante voire radicale. C’est pourquoi l’économiste Timothée Parrique, que nous avons reçu pour son livre Ralentir ou périr (Seuil, 2022), n’hésite pas à en faire un synonyme de décroissance. 

Macron et la sobriété : les raisons d’une appropriation

On touche ici à une première raison de l’emploi soudain du mot sobriété par le président de la République, qui ne se situe évidemment pas dans la tradition d’écologie politique que nous venons d’évoquer.

Autant le terme de « décroissance » est encore lesté d’une forte charge hérétique et nourrit les craintes de bouleversement social, autant celui de sobriété est connoté de manière plus positive pour les tenants d’un statu quo aménagé à la marge. Suggérant des efforts plus doux, il paraît désigner une posture raisonnable, faite de tempérance et peu propice au conflit. Son adoption par les plus hautes autorités du monde catholique, puisqu’on trouve le mot dans l’encyclique Laudato si’ du pape François, achève de lui conférer une aura œcuménique.

Ne s’agirait-il donc que d’une stratégie d’euphémisation de la part d’Emmanuel Macron ? Ce serait lui prêter, sur le fond, un agenda écologiste bien plus radical que celui qu’il est prêt à assumer. Le 10 février dernier, en plein discours de relance du nucléaire à Belfort, il a clairement affirmé que « consommer moins d’énergie » ne devait se faire ni « par la décroissance, [ni] par la restriction, [mais] par l’innovation ». Ajoutant, pour ne laisser aucune ambiguïté : « La force de notre modèle social […] ne serait pas soutenable si nous ne continuions pas de produire davantage. »

© Capture d’écran

Emmanuel Macron au cours de son discours sur la sobriété, le 5 septembre 2022. 

Il reste qu’à la faveur de la guerre en Ukraine et de l’emballement inflationniste qu’elle a favorisé, notamment sur le plan énergétique, Emmanuel Macron va désormais un cran plus loin. D’une part, il appelle solennellement à la réduction des consommations, et tente de faire passer l’idée d’un tournant historique marquant un « avant » et un « après ». D’autre part, il envisage des mesures de contrainte si les comportements ne s’ajustaient pas spontanément aux objectifs fixés. 

Le caractère bricolé de ce tournant trahit un manque d’anticipation criant, autant qu’un nouvel effort d’adaptation à une bascule du monde qui contredit le logiciel initial du macronisme. Car ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron est pris de court, avant de s’ajuster précipitamment à des événements qui mettent à mal sa stratégie de transformation néolibérale du modèle français. Ce cap-là n’a jamais été abandonné, mais le chef de l’État a dû user de moyens non conventionnels pour assurer sa propre survie politique, et « enjamber » les obstacles rencontrés.

L’économiste Nathan Sperber a détaillé ces différents ajustements dans un long article pour la revue American Affairs. En matant la contestation des « gilets jaunes », le président de la République a séduit les secteurs conservateurs et s’est droitisé sur le terrain de « la loi et l’ordre ». Face à la pandémie, il a pris les habits d’un père protecteur en insistant sur la résilience du pays et la nécessité de maintenir une « autonomie stratégique » pour faire face aux désordres globaux.

En résumé, le « néolibéral prosélyte » de 2017 aurait fini par enrober son projet d’une rhétorique et d’amendements « néo-étatistes ». D’une certaine façon, il se retrouve une fois de plus le dos au mur, sur un nouveau terrain : celui des pénuries énergétiques. Or, celui-ci ne fait que révéler l’immensité du retard pris en termes d’action climatique, et la sévérité des choix à opérer pour changer nos modes de vie.

Prendre (vraiment) au sérieux la sobriété 

À cet égard, le succès avec lequel Emmanuel Macron a fait circuler le mot de sobriété est à double tranchant. D’un côté, la reprise institutionnelle du terme tend à légitimer les alertes et à placer cet enjeu au centre de l’agenda public, ce que la mouvance écolo ne réussit pas à faire toute seule. D’un autre côté, elle risque de rabattre la sobriété sur une conception étroite et dépolitisée.

« Les tenants d’une interprétation écolo doivent batailler pour que ce terme ne soit pas réduit aux petits gestes, affirme Mathilde Szuba. Si la sobriété était réinterprétée comme le fait que chacun doive faire des efforts, on perdrait un terme utile pour désigner l’immense chantier de la neutralité carbone, et le débat conflictuel à mener sur la répartition des efforts. » 

Trois grandes limites sont en effet repérables dans la sobriété promue par l’exécutif.

Premièrement, le champ de la sobriété est beaucoup trop restrictif au regard de la réduction nécessaire de l’ensemble de notre empreinte écologique. « La vision française de la sobriété se limite à sa dimension énergétique et ignore les autres composantes de la sobriété identifiées dans le rapport III du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [le GIEC – ndlr] », regrette l’experte Yamina Saheb, justement membre du Giec.

Selon cet organe, les politiques de sobriété doivent être comprises comme « un ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, matériaux, sol et eau tout en assurant le bien-être pour tous dans les limites planétaires ». Mais à l’égard d’une telle définition, les contradictions gouvernementales abondent.

Cet été, la loi « pouvoir d’achat » a ainsi acté la possibilité de relancer une centrale à charbon, et l’installation au Havre d’un terminal pour importer du gaz fossile. L’État a également signé, sous l’égide de Total, un accord avec les Émirats arabes unis pour se fournir en Diesel. Quant au projet de loi dit d’« accélération de la production d’énergies renouvelables », il fait primer l’installation d’infrastructures énergétiques sur la préservation de la biodiversité, alors que cette dernière participe de la lutte contre le changement climatique.

Tout se passe comme si les appels de l’exécutif à la sobriété se focalisaient sur la pénurie énergétique de cet hiver, en la présentant comme un mauvais moment à passer, au lieu de s’inscrire dans la nécessité de respecter l’accord de Paris sur le climat – à savoir, diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

 

© Photo Aline Morcillo / Hans Lucas via AFP

Dans la maison d’un couple qui fait l’économie du chauffage en raison de la hausse des prix de l’énergie, à Clermont-Ferrand, le 20 septembre 2022.

Deuxièmement, le pouvoir macronien, qui nous a certes habitué·es à une politique de classe en faveur des personnes les plus aisées et des détenteurs de capitaux, ignore largement l’enjeu de justice sociale qui sous-tend la sobriété. Les polémiques de cet été en attestent : le gouvernement veut se garder de toute contrainte spécifique envers le sécessionnisme des riches en matière écologique.

On sait pourtant qu’il existe « une corrélation extrêmement forte entre richesse et émission de gaz à effet de serre », rappelle Luc Semal. Selon lui, épargner les pauvres et demander plus aux riches répond à la fois à un motif de justice sociale, et à un enjeu de faisabilité de la sobriété : « Les niveaux de réduction nécessaires pour passer l’hiver et atteindre les objectifs climatiques impliquent que tout le monde fasse des efforts, mais ils n’auront aucune légitimité si des ultrariches ou même des classes moyennes aisées conservent des privilèges. »

Au reste, il existe des domaines où la réduction des consommations permettrait de poursuivre un agenda de justice sociale, ou pourrait se mener selon des modalités égalitaires. 

L’exemple du bâtiment est frappant. Le secteur représente plus de 40 % des consommations d’énergie en France, dans un pays qui compte 12 millions de précaires énergétiques. « Le financement d’un grand programme de rénovation complète et performante des logements est un chantier prioritaire, peut-on lire dans le dernier scénario négaWatt. Générateur de centaines de milliers d’emplois, il permettra de garantir à tous les Français un habitat sain, confortable, et peu coûteux en énergie. Il permettra enfin d’éradiquer la précarité énergétique. » 

Emmanuel Macron a promis de rénover 700 000 logements par an durant les cinq prochaines années. Mais le chemin sera tortueux. Le dispositif MaPrimeRénov’, mis en place en 2020 pour aider les Françaises à isoler leur habitat, a surtout servi à subventionner de petits gestes comme la pose de double vitrage, qui n’améliorent pas assez le bilan carbone des bâtiments. Résultat : en 2021, selon la Cour des comptes, seuls 2 500 logements sont sortis du statut de passoire thermique, au lieu des 80 000 prévus.

À titre de comparaison, « la Suède a décidé, à la suite des chocs pétroliers des années 1970, de déployer une vaste politique de performance énergétique ambitieuse pour la construction neuve de bâtiments. Cette politique conduit aujourd’hui à ce que le pays consomme six à neuf fois moins d’énergie fossile pour se chauffer », explique à Mediapart Alexandre Joly, du cabinet de conseil indépendant Carbone 4.

La quasi-gratuité des transports publics est une mesure considérée comme un réel levier de sobriété.

Autre secteur en dehors du radar gouvernemental : les transports, qui représentent à eux seuls le premier poste de rejets de gaz à effet de serre – 30 % des émissions en France.  Le 9 août dernier, Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, a salué le fait que les applications comme Google Maps devront afficher les quantités de gaz à effet de serre rejetées lors de chaque trajet en voiture. Ou comment élever la lutte climatique au rang d’option GPS...

Pendant ce temps, en Espagne, en Allemagne ou en Belgique, la semaine de quatre jours est expérimentée afin de réduire fortement les besoins en transport et en énergie des bâtiments. Au Royaume-Uni, une étude a encore montré l’an dernier que travailler un jour de moins par semaine d’ici à 2025 équivaudrait à retirer tout le parc automobile privé du pays.

De même, l’Espagne, l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg ont récemment déployé des politiques de quasi-gratuité des transports publics. Une mesure considérée comme un réel levier de sobriété pour réduire les 60 % de trajets domicile-travail qui se font en auto dans un rayon de moins de 5 kilomètres. Outre-Rhin, le ticket mensuel de transports à 9 euros mis en place durant cet été a fait économiser 1,8 million de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles de près d’un million de voitures.

Dernière mesure simple et égalitaire de sobriété appelée par négaWatt comme par la Convention citoyenne pour le climat en 2020 : baisser la vitesse maximale de 20 km/h. Cela permettrait de diminuer en moyenne de 20 % les émissions de gaz à effet de serre sur les autoroutes. Là encore, la Belgique, la Suisse ou la Norvège affichent déjà une vitesse maximale autorisée de 100 km/h sur voies rapides ou de 120 km/h sur autoroute.

L’extension du domaine des besoins est antinomique avec les démarches de sobriété. 

Troisièmement, la contradiction entre l’appel à la sobriété et l’imaginaire productiviste du gouvernement saute aux yeux. « La sobriété impose plutôt de réfléchir aux non-usages, […] aux infrastructures et modes de vie ou à la signification profonde des besoins », signalait l’historien François Jarrige dans un texte publié par AOC. Le problème, c’est que le territoire national continue de se couvrir d’infrastructures et d’aménagements parfaitement contraires à l’objectif de descente énergétique.

Prenons un seul exemple symptomatique de cette dissonance cognitive : la 5G. La cinquième génération de réseaux mobiles doit permettre d’utiliser la connexion internet de son téléphone pour accéder à des services de réalité augmentée, de véhicule connecté ou encore de l’industrie dite « 4.0 ». Cette technologie permet d’échanger une quantité beaucoup plus importante de données. Mais pour quels usages et à quels coûts ?

Dans son livre Débrancher la 5G ?le collectif de chercheurs et chercheuses Atécopol indique que les caméras de vidéosurveillance à reconnaissance faciale sont potentiellement le premier marché de la 5G. En 2019, un post Facebook de l’astrophysicien Aurélien Barrau avait ouvert la polémique sur l’impact environnemental de la nouvelle génération de téléphonie.

© Arcep

En cause : la consommation d’énergie et les émissions de Co2 que va causer son déploiement. Son impact carbone pourrait être très lourd : entre 2,7 et 6 ,7 millions de tonnes de Coen 2030, estime le Haut Conseil pour le climat. À titre de comparaison, l’empreinte carbone de tout le numérique en France atteignait 15 millions de tonnes environ en 2020. L’ajout est donc loin d’être anecdotique.

Les émissions supplémentaires de gaz à effet de serre de la 5G proviennent de la fabrication des téléphones, terminaux, casques de réalité virtuelle, objets connectés, équipements de réseau et data centers. Mais elles viennent aussi des usages mêmes induits par la 5G : regarder une vidéo à très haute résolution sur mobile dans un train, interagir avec des objets connectés, recevoir de la publicité dans sa montre ou son téléphone en lien avec la boutique devant laquelle on se trouve, etc.

Tout cela réclame énormément de bande passante, qui détermine la vitesse de transfert des données et se révèle fortement énergivore. Le déploiement de la 5G risque donc d’avoir un effet important sur la consommation d’électricité en France : entre 16 et 40 térawatt-heures en 2030, c’est-à-dire entre 5 % et 13 % de la consommation ­nationale d’électricité du résidentiel et du tertiaire en 2019, estime le Haut Conseil pour le climat. 

Les perspectives de développement de la 5G sont en ce sens synonymes d’une extension du domaine des besoins dans un but lucratif. En clair : une orientation parfaitement antinomique avec les démarches de sobriété.

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Les promoteurs de la 5G répondent à cette critique en brandissant un concept cher aux écologistes : l’efficacité énergétique. Selon l’Autorité de régulation des communications électroniques, l’installation de la nouvelle génération de téléphonie permettrait de consommer moins d’énergie et d’émettre moins de gaz à effet de serre que si la densification du réseau et la hausse des usages se faisaient en restant avec la 4G – en zone densément peuplée. Pour un même service, la consommation d’énergie serait diminuée.

Mais cette démonstration est mise à mal par l’Atelier d’écologie politique (Atécopol) : « Les gains d’efficacité sont toujours compensés par ce que l’on nomme des “effets rebond”c’est-à-dire une augmentation induite plus importante que les dépenses économisées. » Plus vite on peut télécharger un film en HD, plus on le fait. Plus les publicités affichées automatiquement pourront être en haute définition, plus elles se multiplieront. 

En appuyant sur le mot de sobriété, Emmanuel Macron a paré au plus pressé tout en continuant de complexifier son identité politique. Ce faisant, il a aussi augmenté les contradictions de sa parole et de son action politique. Les tenants d’une sobriété radicale pourraient donc s’appuyer sur ce début de légitimation de leur combat, et le prendre au mot afin de pousser un agenda de fin des privilèges et de planification contraignante des efforts à fournir.

Fabien EscalonaMickaël Correia et Jade Lindgaard






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