Ci-dessous, "Copier-coller" d'un article du 6 octobre 2022 concernant la sobriété selon la président Macron.
« Sobriété » : Macron
s’approprie le mot, pas son contenu
Le président de la
République s’est approprié le terme de « sobriété », tout en le
vidant de sa portée subversive. Rien d’étonnant : réduire notre empreinte
écologique suppose des mesures de justice et une redéfinition des besoins qui
vont à l’encontre du logiciel marconiste.
Fabien Escalona, Mickaël Correia et Jade Lindgaard
6 octobre 2022 à 14h45
C’est le mot de la
rentrée. Depuis qu’Emmanuel Macron a appelé les Français et les Françaises
à « être au rendez-vous de la sobriété », il est sur
toutes les lèvres. Promis dès cet été par le chef de l’État, un « plan
de sobriété énergétique » est ainsi détaillé par le gouvernement
jeudi 6 octobre. Afin de conjurer le risque de pénuries de gaz et d’électricité
cet hiver, l’objectif fixé consiste en une réduction de 10 % des
consommations énergétiques du pays d’ici à 2024, par rapport à 2019.
« Nous vivons la
fin de l’abondance », avait également estimé le président de la République
à la fin du mois d’août, suscitant alors les sarcasmes de celles et ceux qui
ont constaté l’absence de volonté de son gouvernement à agir contre les
consommations de ressources les plus ostentatoires, qu’il s’agisse des trajets
aériens en jet privé ou de l’arrosage des golfs en pleine sécheresse.
Celui qui fustigeait
le modèle amish face aux critiques de la cinquième génération de
réseaux mobiles (la fameuse « 5G ») a-t-il été frappé par la grâce
écolo ? Devant tous les indices attestant du contraire, faut-il rejeter
son appel à la sobriété comme l’énième ruse d’un modèle néolibéral à bout de
souffle, au service d’une répartition toujours plus inéquitable des biens et
des souffrances dans la société ?
Avant de trancher, il
est nécessaire de revenir sur le sens initial du mot sobriété et
d’observer les distorsions que lui fait subir le pouvoir actuel.
© Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart |
De manière générale, la sobriété suggère un comportement de modération et l’autolimitation dans les désirs que l’on cherche à satisfaire. Sans remonter à l’Antiquité, durant laquelle les épicuriens défendaient une telle conception de ce que serait « la vie bonne », on peut constater que la sobriété est intrinsèquement liée à la pensée et à l’activisme écologistes qui se sont développés à partir des années 1970.
« Il y a
plusieurs piliers à la pensée écologiste, explique Mathilde Szuba, maîtresse de
conférences à Sciences Po Lille. On y trouve la protection de la
nature, une distance critique vis-à-vis de la technique, mais aussi la
conviction qu’il existe des limites écologiques à la croissance, et qu’il est
nécessaire de s’organiser pour brider les tendances qui risquent de détruire
notre monde commun. Pour désigner cet impératif de retenue, d’autres termes que
“sobriété” ont plutôt été utilisés, par exemple ceux de “convivialité”,
d’“échelle humaine” ou de décroissance. »
Plusieurs auteurs, qui
ont inspiré la galaxie écolo, ont placé ces thèmes au cœur de leur œuvre. C’est
le cas d’Ivan Illich (1926-2002), qui
a insisté sur les dépendances nouvelles, voire les « contre-productivités » qui pouvaient
naître d’un progrès technique mal maîtrisé. Autrement dit, l’absence de limites
politiquement construites à l’innovation permanente est de nature à se
retourner contre l’autonomie des personnes, c’est-à-dire leur capacité à
décider de leur existence.
Plus proches de nous,
et parfois contestés pour les aspects conservateurs ou scientifiquement
contestables de leurs plaidoyers, on peut également citer des figures comme
Serge Latouche, apôtre
de la décroissance et de la frugalité comme art de vivre, ou Pierre
Rabhi, promoteur de la « sobriété
heureuse » auprès du grand public. Eux aussi se
sont dressés contre la démesure et l’illimitation propres à nos sociétés
contemporaines, et leur cortège de coûts sociaux, psychologiques et
environnementaux.
Depuis les années 1970, la sobriété ne peut plus être
comprise uniquement sous l’angle de la vertu individuelle.
Luc Semal, politiste
La pertinence de ces
réflexions a été redoublée par la documentation de plus en plus précise, ces
50 dernières années, des dérèglements du système Terre dans son ensemble,
imputés avec de plus en plus de certitude aux activités humaines telles
qu’elles ont été configurées depuis la naissance du capitalisme et surtout la
révolution industrielle.
« Ce qui change
dans les années 1970, confirme Luc Semal, maître de conférences au Muséum national d’histoire
naturelle, c’est le fait que la sobriété ne peut plus être comprise
uniquement sous l’angle de la vertu individuelle. Une problématique globale
émerge : celle de la finitude des ressources et de la capacité
d’encaissement limitée des écosystèmes. Autrement dit, même si vous êtes
vertueux, les comportements des autres risquent de vous faire subir de toute
façon le réchauffement climatique. »
À des degrés
différents selon les penseurs concernés, l’écologie politique a ainsi lié
sobriété collective et sobriété individuelle dans sa conception de la
transformation à engager. « La sobriété heureuse est devenue
impossible dans un monde de démesure énergétique », résume
Mathilde Szuba.
Certes, le premier
choc pétrolier de 1973 a suscité de véritables politiques d’économies d’énergie,
contemporaines du développement de la mouvance écolo. Parmi les voisins
européens de la France, certains ont même recouru à du rationnement pur et
simple. « Les Pays-Bas ont par exemple rationné le carburant pour
les automobilistes sur les mois de janvier et février 1974, raconte la
politiste lilloise. Sans rationnement, les pénuries s’accumulent
d’abord sur les plus faibles. Mais s’il est bien anticipé et organisé, ce peut
être un moyen très juste de répartir la contrainte. »
Une affiche « chasse au gaspi » de 1979. |
Il reste que ces expériences n’ont été que de courte durée. Et quelques années plus tard, lors du second choc pétrolier en 1979, la sobriété n’a été promue, du moins en France, que sous l’angle individualisant de la fameuse « chasse au gaspi ». « Ce cadrage était très pauvre, car tout le monde est contre le gaspillage », commente Luc Semal.
Le même chercheur
ajoute que durant les deux ou trois décennies suivantes, la question des
économies d’énergie n’a plus été posée en termes de réduction de la
consommation, mais à travers une focalisation sur les gains d’efficacité
(comment produire plus avec la même quantité d’énergie).
Or, ces gains
d’efficacité ont été eux-mêmes gaspillés, d’une certaine manière, par
l’augmentation des usages et des biens produits – le fameux « effet
rebond ». Et pendant ce temps, aucune transition énergétique n’a véritablement eu
lieu : les consommations des différentes sources d’énergie se sont
ajoutées, plutôt que substituées, les unes aux autres (voir
notre émission sur le sujet).
Un tournant s’est
cependant produit dans les années 2000, qui s’est prolongé jusqu’à aujourd’hui.
La sobriété – et le mot pour la nommer – a percé dans les milieux écolos grâce
à l’expertise fournie par négaWatt, une association travaillant à des scénarios
pour mettre en œuvre « une transition énergétique réaliste et
soutenable ».
Sur le site de ce
collectif, les trois axes de la stratégie qu’il promeut sont clairement
identifiés : une substitution des énergies renouvelables aux énergies
carbonées, la poursuite des gains d’efficacité énergétique, mais surtout la
sobriété, c’est-à-dire une réduction nette de la consommation énergétique en la
concentrant sur des besoins identifiés comme prioritaires.
La sobriété est le
seul axe qui ne soit « pas une solution technique »,
remarque Luc Semal, et qui « questionne les besoins en assumant de
revoir à la baisse notre niveau de confort énergétique ». L’impératif
de sobriété, qu’il ait été défendu sous ce mot ou d’autres termes, est ainsi
devenu le marqueur d’une écologie politique exigeante voire radicale. C’est
pourquoi l’économiste Timothée Parrique, que
nous avons reçu pour son livre Ralentir ou périr (Seuil,
2022), n’hésite pas à en faire un synonyme de décroissance.
Macron et la sobriété : les raisons d’une
appropriation
On touche ici à une
première raison de l’emploi soudain du mot sobriété par le
président de la République, qui ne se situe évidemment pas dans la tradition d’écologie
politique que nous venons d’évoquer.
Autant le terme de
« décroissance » est encore lesté d’une forte charge hérétique et
nourrit les craintes de bouleversement social, autant celui de sobriété est
connoté de manière plus positive pour les tenants d’un statu quo aménagé
à la marge. Suggérant des efforts plus doux, il paraît désigner une
posture raisonnable, faite de tempérance et peu propice au conflit. Son
adoption par les plus hautes autorités du monde catholique, puisqu’on trouve le
mot dans l’encyclique Laudato
si’ du pape François, achève de lui conférer une aura œcuménique.
Ne s’agirait-il donc
que d’une stratégie d’euphémisation de la part d’Emmanuel Macron ? Ce
serait lui prêter, sur le fond, un agenda écologiste bien plus radical que
celui qu’il est prêt à assumer. Le 10 février dernier, en plein discours
de relance du nucléaire à Belfort, il a clairement affirmé que « consommer
moins d’énergie » ne devait se faire ni « par la
décroissance, [ni] par la restriction, [mais] par
l’innovation ». Ajoutant, pour ne laisser aucune
ambiguïté : « La force de notre modèle social […] ne
serait pas soutenable si nous ne continuions pas de produire davantage. »
© Capture d’écran |
Emmanuel Macron au cours de son discours sur la sobriété, le 5 septembre 2022.
Il reste qu’à la
faveur de la guerre en Ukraine et de l’emballement inflationniste qu’elle a
favorisé, notamment sur le plan énergétique, Emmanuel Macron va désormais un
cran plus loin. D’une part, il appelle solennellement à la réduction des
consommations, et tente de faire passer l’idée d’un tournant historique
marquant un « avant » et un « après ». D’autre part, il
envisage des mesures de contrainte si les comportements ne s’ajustaient pas
spontanément aux objectifs fixés.
Le caractère bricolé
de ce tournant trahit un
manque d’anticipation criant, autant qu’un nouvel effort
d’adaptation à une bascule du monde qui contredit le logiciel initial du
macronisme. Car ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron est pris de
court, avant de s’ajuster précipitamment à des événements qui mettent à mal sa
stratégie de transformation néolibérale du modèle français. Ce cap-là n’a
jamais été abandonné, mais le chef de l’État a dû user de moyens non
conventionnels pour assurer sa propre survie politique, et « enjamber »
les obstacles rencontrés.
L’économiste Nathan
Sperber a détaillé ces différents ajustements dans
un long article pour la revue American Affairs. En
matant la contestation des « gilets jaunes », le président de la
République a séduit les secteurs conservateurs et s’est droitisé sur le terrain
de « la loi et l’ordre ». Face à la pandémie, il a pris les habits
d’un père protecteur en insistant sur la résilience du pays et la nécessité de
maintenir une « autonomie stratégique » pour faire
face aux désordres globaux.
En résumé, le « néolibéral
prosélyte » de 2017 aurait fini par enrober son projet d’une
rhétorique et d’amendements « néo-étatistes ». D’une
certaine façon, il se retrouve une fois de plus le dos au mur, sur un nouveau
terrain : celui des pénuries énergétiques. Or, celui-ci ne fait que
révéler l’immensité
du retard pris en termes d’action climatique, et la sévérité des choix à opérer pour
changer nos modes de vie.
Prendre (vraiment) au sérieux la sobriété
À cet égard, le succès
avec lequel Emmanuel Macron a fait circuler le mot de sobriété est à double
tranchant. D’un côté, la reprise institutionnelle du terme tend à légitimer les
alertes et à placer cet enjeu au centre de l’agenda public, ce que la mouvance
écolo ne réussit pas à faire toute seule. D’un autre côté, elle risque de
rabattre la sobriété sur une conception étroite et dépolitisée.
« Les tenants
d’une interprétation écolo doivent batailler pour que ce terme ne soit pas
réduit aux petits gestes, affirme Mathilde Szuba. Si la sobriété était
réinterprétée comme le fait que chacun doive faire des efforts, on perdrait un
terme utile pour désigner l’immense chantier de la neutralité carbone, et le
débat conflictuel à mener sur la répartition des efforts. »
Trois grandes limites
sont en effet repérables dans la sobriété promue par l’exécutif.
Premièrement, le champ
de la sobriété est beaucoup trop restrictif au regard de la réduction
nécessaire de l’ensemble de notre empreinte écologique. « La
vision française de la sobriété se limite à sa dimension énergétique et ignore
les autres composantes de la sobriété identifiées dans le rapport III du
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [le
GIEC – ndlr] », regrette l’experte Yamina Saheb, justement membre
du Giec.
Selon cet organe, les
politiques de sobriété doivent être comprises comme « un ensemble
de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie,
matériaux, sol et eau tout en assurant le bien-être pour tous dans les limites
planétaires ». Mais à l’égard d’une telle définition, les
contradictions gouvernementales abondent.
Cet été, la loi
« pouvoir d’achat » a ainsi acté la possibilité de relancer une
centrale à charbon, et l’installation au Havre d’un terminal pour importer du
gaz fossile. L’État a également signé, sous l’égide de Total, un accord avec
les Émirats arabes unis pour se fournir en Diesel. Quant au projet de loi dit
d’« accélération de la production d’énergies renouvelables », il
fait primer l’installation d’infrastructures énergétiques sur la préservation de
la biodiversité, alors que cette dernière participe de la lutte contre le
changement climatique.
Tout se passe comme si
les appels de l’exécutif à la sobriété se focalisaient sur la pénurie
énergétique de cet hiver, en la présentant comme un mauvais moment à passer, au
lieu de s’inscrire dans la nécessité de respecter l’accord de Paris sur le
climat – à savoir, diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre d’ici
à 2030.
© Photo Aline Morcillo / Hans Lucas via AFP |
Dans la maison d’un
couple qui fait l’économie du chauffage en raison de la hausse des prix de
l’énergie, à Clermont-Ferrand, le 20 septembre 2022.
Deuxièmement, le
pouvoir macronien, qui nous a certes habitué·es à une
politique de classe en faveur des personnes les plus aisées et des
détenteurs de capitaux, ignore largement l’enjeu de justice sociale qui
sous-tend la sobriété. Les polémiques de cet été en attestent : le
gouvernement veut se garder de toute contrainte spécifique envers le
sécessionnisme des riches en matière écologique.
On sait pourtant qu’il
existe « une corrélation extrêmement forte entre richesse et
émission de gaz à effet de serre », rappelle Luc Semal. Selon lui,
épargner les pauvres et demander plus aux riches répond à la fois à un motif de
justice sociale, et à un enjeu de faisabilité de la sobriété : « Les
niveaux de réduction nécessaires pour passer l’hiver et atteindre les objectifs
climatiques impliquent que tout le monde fasse des efforts, mais ils n’auront
aucune légitimité si des ultrariches ou même des classes moyennes aisées
conservent des privilèges. »
Au reste, il existe
des domaines où la réduction des consommations permettrait de poursuivre un
agenda de justice sociale, ou pourrait se mener selon des modalités
égalitaires.
L’exemple du bâtiment
est frappant. Le secteur représente plus de 40 % des consommations
d’énergie en France, dans un pays qui compte 12 millions de précaires
énergétiques. « Le financement d’un grand programme de rénovation
complète et performante des logements est un chantier prioritaire, peut-on
lire dans le dernier scénario négaWatt. Générateur de centaines de
milliers d’emplois, il permettra de garantir à tous les Français un habitat
sain, confortable, et peu coûteux en énergie. Il permettra enfin d’éradiquer la
précarité énergétique. »
Emmanuel Macron a
promis de rénover 700 000 logements par an durant les cinq prochaines
années. Mais le chemin sera tortueux. Le dispositif MaPrimeRénov’, mis en place
en 2020 pour aider les Français⸱es à isoler leur habitat, a surtout servi à
subventionner de petits gestes comme la pose de double vitrage, qui
n’améliorent pas assez le bilan carbone des bâtiments. Résultat : en 2021,
selon la Cour des comptes, seuls 2 500 logements sont sortis du
statut de passoire thermique, au lieu des 80 000 prévus.
À titre de
comparaison, « la Suède a décidé, à la suite des chocs pétroliers
des années 1970, de déployer une vaste politique de performance énergétique
ambitieuse pour la construction neuve de bâtiments. Cette politique conduit
aujourd’hui à ce que le pays consomme six à neuf fois moins d’énergie fossile
pour se chauffer », explique à Mediapart Alexandre Joly, du cabinet de
conseil indépendant Carbone 4.
La quasi-gratuité des
transports publics est une mesure considérée comme un réel levier de
sobriété.
Autre secteur en
dehors du radar gouvernemental : les transports, qui représentent à eux
seuls le premier poste de rejets de gaz à effet de serre – 30 % des
émissions en France. Le 9 août dernier, Clément Beaune, ministre
délégué chargé des transports, a salué le fait que les applications comme
Google Maps devront afficher les quantités de gaz à effet de serre rejetées
lors de chaque trajet en voiture. Ou comment élever la lutte climatique au rang
d’option GPS...
Pendant ce temps, en
Espagne, en Allemagne ou en Belgique, la semaine de quatre jours est
expérimentée afin de réduire fortement les besoins en transport et en énergie
des bâtiments. Au Royaume-Uni, une étude a encore montré l’an dernier que
travailler un jour de moins par semaine d’ici à 2025 équivaudrait à retirer
tout le parc automobile privé du pays.
De même, l’Espagne,
l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg ont récemment déployé des politiques
de quasi-gratuité des transports publics. Une mesure considérée comme un réel
levier de sobriété pour réduire les 60 % de trajets domicile-travail qui
se font en auto dans un rayon de moins de 5 kilomètres. Outre-Rhin, le
ticket mensuel de transports à 9 euros mis en place durant cet été a fait
économiser 1,8 million de tonnes de CO2, soit l’équivalent des
émissions annuelles de près d’un million de voitures.
Dernière mesure simple
et égalitaire de sobriété appelée par négaWatt comme par la Convention
citoyenne pour le climat en 2020 : baisser la vitesse maximale de
20 km/h. Cela permettrait de diminuer en moyenne de 20 % les
émissions de gaz à effet de serre sur les autoroutes. Là encore, la Belgique,
la Suisse ou la Norvège affichent déjà une vitesse maximale autorisée de
100 km/h sur voies rapides ou de 120 km/h sur autoroute.
L’extension du domaine
des besoins est antinomique avec les démarches de sobriété.
Troisièmement, la
contradiction entre l’appel à la sobriété et l’imaginaire productiviste du
gouvernement saute aux yeux. « La sobriété impose plutôt de
réfléchir aux non-usages, […] aux infrastructures et modes de
vie ou à la signification profonde des besoins », signalait
l’historien François Jarrige dans
un texte publié par AOC. Le problème, c’est que le territoire national
continue de se couvrir d’infrastructures et d’aménagements parfaitement
contraires à l’objectif de descente énergétique.
Prenons un seul
exemple symptomatique de cette dissonance cognitive : la 5G. La cinquième
génération de réseaux mobiles doit permettre d’utiliser la connexion internet
de son téléphone pour accéder à des services de réalité augmentée, de véhicule
connecté ou encore de l’industrie dite « 4.0 ». Cette technologie
permet d’échanger une quantité beaucoup plus importante de données. Mais pour
quels usages et à quels coûts ?
Dans son livre Débrancher
la 5G ?, le
collectif de chercheurs et chercheuses Atécopol indique que les
caméras de vidéosurveillance à reconnaissance faciale sont potentiellement le
premier marché de la 5G. En 2019, un
post Facebook de l’astrophysicien Aurélien Barrau avait ouvert la
polémique sur l’impact environnemental de la nouvelle génération de
téléphonie.
© Arcep |
En cause : la
consommation d’énergie et les émissions de Co2 que va causer
son déploiement. Son impact carbone pourrait être très lourd : entre 2,7
et 6 ,7 millions de tonnes de Co2 en 2030, estime le
Haut Conseil pour le climat. À titre de comparaison, l’empreinte
carbone de tout le numérique en France atteignait 15 millions de tonnes
environ en 2020. L’ajout est donc loin d’être anecdotique.
Les émissions
supplémentaires de gaz à effet de serre de la 5G proviennent de la fabrication
des téléphones, terminaux, casques de réalité virtuelle, objets connectés,
équipements de réseau et data centers. Mais elles viennent aussi
des usages mêmes induits par la 5G : regarder une vidéo à très haute
résolution sur mobile dans un train, interagir avec des objets connectés,
recevoir de la publicité dans sa montre ou son téléphone en lien avec la
boutique devant laquelle on se trouve, etc.
Tout cela réclame
énormément de bande passante, qui détermine la vitesse de transfert des données
et se révèle fortement énergivore. Le déploiement de la 5G risque donc d’avoir
un effet important sur la consommation d’électricité en France : entre 16
et 40 térawatt-heures en 2030, c’est-à-dire entre 5 % et 13 % de
la consommation nationale d’électricité du résidentiel et du tertiaire en
2019, estime le Haut Conseil pour le climat.
Les perspectives de
développement de la 5G sont en ce sens synonymes d’une extension du domaine des
besoins dans un but lucratif. En clair : une orientation parfaitement
antinomique avec les démarches de sobriété.
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15 septembre 2022Lire
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Les promoteurs de la
5G répondent à cette critique en brandissant un concept cher aux
écologistes : l’efficacité énergétique. Selon
l’Autorité de régulation des communications électroniques, l’installation de la
nouvelle génération de téléphonie permettrait de consommer moins d’énergie et
d’émettre moins de gaz à effet de serre que si la densification du réseau et la
hausse des usages se faisaient en restant avec la 4G – en zone densément
peuplée. Pour un même service, la consommation d’énergie serait diminuée.
Mais cette
démonstration est mise à mal par
l’Atelier d’écologie politique (Atécopol) : « Les
gains d’efficacité sont toujours compensés par ce que l’on nomme des “effets
rebond”, c’est-à-dire une augmentation induite plus importante que
les dépenses économisées. » Plus vite on peut télécharger un film
en HD, plus on le fait. Plus les publicités affichées automatiquement pourront
être en haute définition, plus elles se multiplieront.
En appuyant sur le mot
de sobriété, Emmanuel Macron a paré au plus pressé tout en continuant de
complexifier son identité politique. Ce faisant, il a aussi augmenté les
contradictions de sa parole et de son action politique. Les tenants d’une
sobriété radicale pourraient donc s’appuyer sur ce début de légitimation de
leur combat, et le prendre au mot afin de pousser un agenda de fin des
privilèges et de planification contraignante des efforts à fournir.
Fabien Escalona, Mickaël Correia et Jade Lindgaard
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