Ci-dessous, un Copier-Coller d'une émission de France Culture du 20 mai 2020.
https://www.franceculture.fr/sciences/vaccin-contre-la-covid-19-quand-un-scientifique-devient-cobaye
Vaccin contre la Covid-19 :
quand un scientifique devient cobaye
20/05/2020 France Culture
Moderna Therapeutics,
la firme qui a lancé l'un des premiers essais de vaccin contre la Covid-19,
vient de publier des résultats encourageants. Le témoignage du scientifique Ian
Haydon, l'un des premiers cobayes du test, apporte un éclairage essentiel sur
la quête d'une parade au virus.
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La mise au point d'un vaccin contre la Covid-19 apparaît comme la meilleure solution pour mettre un terme à la pandémie. • Crédits : David L. Ryan / The Boston Globe - Getty |
Moderna Therapeutics, l’entreprise de biotechnologie
qui a lancé le premier essai de vaccin contre la Covid-19 vient de publier des
premiers résultats encourageants. Elle teste un type de vaccin inédit
radicalement différents des vaccins utilisés jusqu’à aujourd’hui. Un vaccin qui
inocule uniquement une part du code génétique du virus, l’ARN messager et non
le virus lui-même.
Ian Haydon a 29 ans, il fait partie des 45 volontaires
qui ont accepté de tester ce vaccin novateur. Il devra se présenter une dizaine
de fois au centre de santé Kaiser Permanente, à Seattle, pour des examens et
des prises de sang, il a signé une décharge de 20 pages reconnaissant les
risques encourus et que ce traitement ne le protégerait peut-être pas.
Vus les résultats déjà obtenus, des milliers de
nouveaux volontaires devraient bientôt pouvoir aussi participer à cette étude
dès juillet. Ian Haydon a appris l’existence de ce vaccin test car il est
lui-même chercheur, il est donc aujourd’hui aussi devenu cobaye… Cet entretien,
réalisé par Elodie Maillot dans le cadre d’une série LSD que France Culture
prépare sur la recherche scientifique bouleversée par le coronavirus, est un
témoignage essentiel pour comprendre la manière dont fonctionnent les essais
cliniques sur les médicaments général, et sur ce vaccin en particulier. Et de
mesurer les enjeux liés à la recherche en santé publique et à la mise au point
d'un vaccin face à un virus comme celui qui provoque une pandémie aujourd'hui.
Elodie Maillot. Vous travaillez pour l’Institute for
Protein Design, un institut qui fait de la recherche sur la Covid-19, en quoi
votre profession a à voir avec que le fait que vous faites partie des 45
premiers volontaires à tester le vaccin Moderna Therapeutics contre le
coronavirus ?
Ian Haydon. J’ai appris l'existence de cette
étude et du vaccin test par un collègue, qui est lui-même chercheur spécialisé
en vaccins à l'université de l’Etat de Washington. Début mars, il a partagé un
lien pour participer à cette étude sur notre messagerie Slack. Quand j’ai
rempli le formulaire, je ne m'attendais vraiment pas à recevoir une réponse car
des milliers de gens se sont portés volontaires. Et surprise : quelques
jours plus tard, j’ai reçu un appel pour passer une visite médicale.
Il y avait une certaine urgence pour commencer les
tests de vaccination ?
Le processus a pris un peu de temps, il a fallu faire
des tests physiques et des analyses de sang, et puis nous avons discuté des
risques et du fait que ce vaccin test ne m'empêchera peut-être pas de tomber
malade. On m’a remis un formulaire de consentement de 20 pages qui comprenait
beaucoup d’informations et de détails sur l'étude.
Le 8 avril, je suis retourné à la clinique pour
recevoir ma première injection du vaccin. Là, j’ai dû encore faire plusieurs de
prises de sang, et je suis resté une heure en observation, après l’injection.
On m’a alors remis un carnet de bord quotidien à remplir ainsi qu'un
thermomètre. Le labo voulait que j'enregistre ma température tous les jours et
que je note tous les symptômes que je pourrais éprouver : maux de tête,
douleurs musculaires, si mon bras devenait douloureux ou rouge etc. Comme il
s'agit d'un essai clinique dit de phase 1, ce qui intéresse les chercheurs,
c'est avant tout la sécurité. Ils veulent savoir si ce vaccin expérimental est
bien toléré ou non.
Dans l'ensemble, je me sentais bien. Je n'avais
vraiment aucun symptôme majeur à signaler. Mon bras m'a fait mal après
l'injection pendant une journée environ, mais comme ça peut arriver avec un
vaccin en général. Puis j’ai fait des prises de sang complémentaires, et un
mois après avoir reçu ma première injection, j'ai reçu la deuxième dose.
Et comment vous sentez-vous ?
La première injection s’est bien passée, mais après
avoir reçu ma deuxième injection, j'ai eu quelques symptômes que je ne peux pas
décrire pour l’instant pour des raisons de confidentialité. Ça n'a pas duré
longtemps, maintenant je me sens exactement comme avant de commencer tout ce
processus : c'est-à-dire très chanceux d'être en bonne santé !
Quels sont les risques que vous encourez ?
Comme dans n'importe quel essai clinique, il y a des
risques, mais qui sont assez faibles, selon moi. Il y a plusieurs types de
risques. Le premier c’est d'avoir une réaction allergique à l'injection,
heureusement, ça ne m'est pas arrivé. Les autres risques sont évidemment
liés au fait qu'il s'agit d'un nouveau vaccin qui utilise une toute nouvelle
technologie vaccinale et qu'il s'agit d'un nouveau virus.
En bon scientifique vous vous êtes documenté sur ce
qui vous a été inoculé ?
Oui, Je travaille dans un institut de recherche qui
conçoit des vaccins, donc je suis habitué à la littérature scientifique ! Alors
avant de faire la première injection, j'ai lu tous les articles que j'ai pu
trouver sur cette nouvelle technologie vaccinale et sur cette entreprise (Moderna
Therapeutics, petite entreprise de biotechnologie située près de Harvard dans
la banlieue de Boston, ndlr). C'était une expérience étrange : pour la
première fois de ma vie je lisais une étude dans une perspective personnelle,
et donc je reconnaissais que j'allais moi aussi devenir une donnée, une
statistique...
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Peut-on vraiment espérer un vaccin ?5 MIN
Et qu’avez-vous appris sur ce vaccin au
final ?
Ce vaccin est vraiment novateur, il utilise une toute nouvelle
technologie encore inédite. Avec un vaccin conventionnel, vous injectez une
version morte du virus, ou une version affaiblie du virus ou même juste une
partie, une protéine du virus par exemple. C’est ça qui est censé aider le
système immunitaire à créer une défense immunitaire contre le vrai virus. Ce
qui est nouveau dans le vaccin que je teste, c'est que je n'ai pas reçu une
version du virus ni même une protéine du virus, mais simplement, un morceau du
code génétique du virus : des molécules de ce qu'on appelle l'ARN
messager, un code génétique dérivé du virus. Si ça marche, c'est censé demander
à certaines de mes cellules de commencer à produire temporairement une protéine
du virus. Cette protéine ne peut à priori pas causer d'infection, donc il
n'y a pas de risque que j’attrape le coronavirus avec cette injection. En
revanche, si mes cellules peuvent produire cette protéine, alors cela donnera à
mon système immunitaire une chance de la repérer et de créer une réaction et,
espérons-le, de fabriquer des anticorps qui finiront par me protéger du vrai
virus.
C'est une façon révolutionnaire d'envisager la
vaccination ! Il n'existe aujourd’hui aucun vaccin approuvé qui utilise cette
technologie. Mais c'est l'une des nombreuses technologies de vaccins que
d’autres volontaires sont en train de tester en ce moment contre le virus. (Ndlr
Moderna a été la première à la lancer).
Malgré les risques, vous étiez motivé pour participer
à ce test…
Bien entendu ! Je comprends bien que je prends
certains risques, mais je crois qu'ils sont assez minimes et surtout que le
bénéfice potentiel est beaucoup plus important que le risque auquel je crois
m'exposer.
Des gens meurent de ce virus tous les jours et
l'économie mondiale est complètement à l’arrêt, donc on doit trouver un vaccin
sûr et efficace au plus vite. Pour ça, il faut que des personnes en bonne santé
soient prêtes à prendre un petit risque et à participer à un essai clinique. Je
teste une technologie inédite, donc ça signifie qu'elle peut, soit ne pas
fonctionner du tout, soit causer des effets secondaires inconnus, et puis il
s’agit d’un nouveau virus dont nous ne savons pas grand-chose. Comme cela
m’était expliqué dans le formulaire que j’ai signé avant de participer, on ne
connait donc pas l'interaction de ce vaccin avec le système immunitaire humain,
et c’est justement ce que les chercheurs examinent le plus attentivement. Ils
analysent mon sang pour voir comment mes globules blancs réagissent, à quoi
ressemblent mes anticorps, s'ils sont produits ou non, ce genre de choses, mais
on ne peut encore rien en dire.
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Dans les locaux de Moderna Therapeutics, en février 2020. • Crédits : David L. Ryan / The Boston globe - Getty |
Il faudra donc encore attendre dans plus d'un an pour
être sûr que le vaccin fonctionne ?
Oui ma santé sera toujours sous surveillance pendant
au moins un an, mais les chercheurs ont déjà quelques indices précoces sur
l'innocuité de ce vaccin. Il sera donc bientôt possible de commencer à intégrer
d’autres volontaires dans une étude de phase 1 comme celle que j’ai testé. Pour
l’instant, les résultats montrent que ce vaccin est sans danger. La deuxième
phase permettra de savoir s'il fonctionne vraiment ou non. Nous ne connaîtrons
pas les résultats avant de faire plus de tests.
Etes-vous sûr que vous n'avez pas reçu un
placebo ?
J’en suis sûr, oui. Je participe à une étude de phase
1. C'est ce qu'on appelle une étude ouverte, ce qui signifie que tout le monde
sait ce qu'il reçoit. Il n'y avait aucun groupe placebo. Tous les quarante-cinq
volontaires ont reçu une dose du vaccin et sont surveillés pour voir comment
ils y réagissent.
Pouvez-vous nous raconter cette journée du 8 avril,
c'était une journée particulière pour vous ? Avez-vous eu envie de
renoncer au dernier moment ?
Avant de recevoir ma première injection, je suis
arrivé à la clinique tôt le matin, et j'ai fait une pause dans ma voiture avant
de sortir, je l'ai fait juste pour évaluer ce que je ressentais, pour voir si
j’étais prêt, ou si je me sentais nerveux, si je transpirais. Et bizarrement,
j'étais très calme, je n'étais pas inquiet. Je déteste les piqûres, donc
j'avais peur de l'injection et des prélèvements sanguins, mais pas du vaccin.
Si vous êtes le genre de personne qui s'inquiète, alors mieux vaut ne pas être volontaire
pour ce genre de test.
"Elle a pleuré en regardant ce liquide bleu fascinant, et en imaginant
que l'avenir du monde se trouvait peut-être dans cette préparation"
Est-ce que vous avez ressenti une émotion particulière
au moment de l’injection ?
C'est une chimiste qui m'a piqué. Pour la deuxième
injection, elle est entrée dans la pièce avec le petit plateau en plastique sur
lequel il y avait la seringue. Et là, j'ai eu envie de voir le vaccin avant
qu'il me soit injecté. Elle était même contente de me le montrer, elle voulait
que j’observe bien la couleur de la solution dans la seringue, qu’elle trouvait
très belle. Le liquide était d'une étrange couleur bleue. Ça ne ressemblait pas
à ce que j’imaginais ! C'était translucide et bleu.
Avant de me piquer, elle m'a avoué que lorsqu’elle
préparait les seringues, elle a pleuré en regardant ce liquide bleu fascinant,
et en imaginant que l'avenir du monde se trouvait peut-être dans cette
préparation. Je me rends compte que tout le personnel médical impliqué dans
cette lutte contre le virus en général sait que son travail est en quelque
sorte historique !
C’est une petite injection et peut-être un grand pas
pour l’humanité. Est-ce un acte héroïque de recevoir ce liquide bleu
étrange ?
Je ne me vois pas comme un héros, non, j'ai même
l'impression d'être juste un grain de sable pris dans une grande histoire. J'ai
fait partie des 45 premiers volontaires du premier essai, mais aujourd’hui, il
y a d’autres essais de vaccins similaires dans le monde.
Et, puis dans toute recherche, il y a des coulisses.
Derrière chaque découverte d’un vaccin, il y a une véritable armée
humaine : tout le personnel qui administre le vaccin, les infirmières qui
font les prises sangs, les laborantins qui l’analysent, et au-delà les
centaines de chercheurs qui ont passé des décennies, et même toute leur vie et
leur carrière à étudier d’autres virus avant même que celui-là n’apparaisse. On
fait tous partie d’une histoire qui nous dépasse.
Comment avez-vous vécu le fait de passer de
scientifique à cobaye volontaire ?
C'est vraiment l'expérience la plus personnelle que
j'ai jamais eue avec la science, mais nous vivons une période particulière,
alors les choses évoluent plus vite que d’habitude. Aujourd’hui, les
scientifiques du monde entier, et particulièrement les biologistes, travaillent
d’arrache-pied sur tous les fronts face à cette crise. On doit faire des
progrès coûte que coûte face au virus.
Je suis chercheur, j’ai été biologiste en labo, mais
je n'ai jamais eu à utiliser mon corps de cette façon. Cette crise a clairement
fait tomber des barrières entre ma vie personnelle et professionnelle, mais
c’est le cas aussi j’imagine pour d’autres en ce moment. Quand on organise des
vidéoconférences avec des collègues et que tout d'un coup on découvre leur
salon, ça fait tomber des barrières ! Certains membres de l’équipe qui
travaillent sur le vaccin m’ont dit que je ne suis d’ailleurs pas le seul
scientifique à participer à cette étude.
C’est vrai que c’est très étrange de penser à ce qui
peut se passer à l'intérieur de son corps quand on teste un vaccin et d’espérer
que nos cellules font ce qu'elles sont censées faire et qu’à terme ce vaccin
produira l'effet désiré. Hélas, il n'y a aucun moyen de le savoir jusqu'à ce
que nous obtenions un peu plus de données.
Cette expérience vous aura au moins appris la
patience ?
Oui, elle m'a donné une grande leçon de patience.
Comme il s’agit de tests humains, le processus ne peut pas réellement être
accéléré. Il n'y a rien d'autre à faire que d'attendre.
En attendant, vous vivez donc comme tout le monde, en
tentant de vous protéger du virus par des gestes barrières ?
Oui, je ne présume absolument pas que je suis immunisé
! Il s'agit d'un vaccin expérimental. Personne ne sait s’il va marcher, et nous
ne savons même pas exactement quelle dose pourrait être efficace. C’est ce qui
est en train d’être étudié en ce moment. Je continue donc à travailler de chez
moi. Je ne sors vraiment que pour faire quelques courses et parfois pour courir.
Je suis même plus prudent qu’avant : je me lave les mains encore plus, je
porte toujours un masque. Comme je suis devenu un sujet d'étude, ce serait le
pire moment pour moi d’entrer en contact avec le coronavirus, ça pourrait
fausser les résultats.
Et que pensent vos proches des risques que vous
prenez ?
Au début, je n'en ai parlé à personne, et puis quand
j’ai été pris pour l’essai, j’ai décidé de le dire à mes parents et à ma petite
amie. Dans l'ensemble, mes proches m’ont soutenu. Je sais qu'ils sont même
fiers de moi. Ma mère était un peu inquiète, comme toute mère. Nous avons
beaucoup discuté de ce qu'est cette étude, de ce que j'accepte de faire, des
risques, et je crois qu’elle est un peu plus rassurée maintenant. Quant à ma
petite amie, elle travaille dans un laboratoire d’analyses en recherche
clinique, alors ce genre d’étude c’est son quotidien (elle ne travaille pas
bien sûr sur celle à laquelle je participe). C’est un monde qu'elle connaît
bien, et elle me soutient donc à 100% !
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Le virus Sars-CoV-2, vu au microscope électronique, en orange, en train d'infiltrer la surface des cellules (en vert) • Crédits : Niaid-RML - Getty |
Avez-vous des contacts avec les autres
volontaires ?
La confidentialité très importante dans ce test.
Je n'ai aucun moyen de savoir qui d'autre participe à cette étude. J’ai
juste eu quelques contacts en chat avec un bénévole qui a parlé à la presse. Il
est un peu plus âgé que moi. Il vit aussi à Seattle. Je ne l'ai jamais
rencontré, mais il semble aller bien. J'espère qu’une fois que tout sera
terminé, on pourra se rencontrer !
Etes-vous êtes indemnisé pour tester ce vaccin
expérimental ?
Oui, nous recevons chacun cent dollars à chaque visite
à la clinique. Donc ça fera en tout 1100 dollars au total pour l'étude. Ce
n'est pas énorme, ce n'est donc certainement pas la raison financière qui
motive les volontaires !
Vous devez utiliser une contraception pendant toute la
durée de l'étude, c’est un engagement lourd ?
Tous ceux qui testent le vaccin acceptent de se protéger
et de ne pas avoir d'enfants pendant la durée de l'étude et même quelques mois
après la fin. Il s'agit d'un engagement assez fréquent lors d’essais vaccinaux,
je n’ai pas de problème avec ça. Quand vous testez un médicament ou un vaccin
expérimental, ce n'est pas le moment d’avoir des enfants. Un nouveau médicament
peut avoir des effets inattendus sur le fœtus.
Est-ce que ce nouveau vaccin génétique pourrait
modifier votre patrimoine génétique ?
Je ne pense pas, mais c'est une possibilité théorique.
Ce vaccin contient du matériel génétique, et donc, c'est à l’étude. On ne sait
pas si ce matériel génétique peut affecter le mien ou s'il pourrait être
transmis, mais j’en doute.
Un secret à révéler sur l'ARN, (Ndlr la
technologie qui est employée pour ce vaccin), c'est que l'ARN en tant que
molécule est incroyablement instable, ce qui signifie qu'elle ne se fixe pas
pour très longtemps. L’ADN en revanche, est une molécule assez stable. On a
même découvert de l'ADN de dinosaures qui date de millions d'années ! L'ARN ne
peut pas tenir aussi longtemps, il a tendance à s'effondrer tout seul. Et donc
cette injection d'un petit morceau d'ARN ne m'inquiète pas, car elle ne risque
pas de rester dans mon corps pour le reste de ma vie. D’ailleurs ce qui m'inquiète
plus et ce qui inquiète plus l'équipe de scientifiques, c'est même le
contraire.
L'ARN peut être si instable que mon corps peut
détruire la molécule avant même qu'il ne soit capable de faire ce qu'il est
censé faire, c’est à dire de créer des anticorps. C’est pour ça qu’on ne
sait pas si ce vaccin sera efficace ou non. On a envie d’avoir de l’espoir,
mais en réalité nous ne saurons pas si les effets vont durer, avant une étude
minutieuse qui prendra du temps.
"En science, il n'y a pas de miracles. Il y a juste beaucoup de
travail et beaucoup de patience"
Est-ce que cette expérience remet en cause votre
vision de la science, qui n'est donc pas toute puissante ?
Cette expérience m’a fait penser la science
complètement autrement parce qu’en fait, la science est vraiment une entreprise
incroyablement humaine. Elle est inventée par des humains pour les humains. Et
ça n’a jamais été aussi vrai qu'en ce moment avec une telle crise. C'est
incroyable de voir comment les scientifiques, et tous ces professionnels de
santé, se consacrent tous à ce problème et cherchent des remèdes. Le monde
entier s’unit en ce moment pour faire émerger ce qu'il y a de meilleur. Cette
crise a fait naître encore plus de compassion, d'honnêteté et de dévouement.
C'est la beauté de la science.
La compassion, c'est un terme rarement associé au
monde scientifique ?
C'est vrai. Parfois, la science a ce côté froid,
calculé. Mais en fait la science nous permet de lutter souvent contre certains
de nos préjugés. Les êtres humains, à priori, se passionnent peu pour les
données ou les chiffres, pourtant on n'a pas le choix. L’humanité a besoin
d’expériences sérieuses pour comprendre le monde. Cela n’a jamais été aussi
vital qu’aujourd’hui : face à cette crise, nous avons désespérément besoin
de guérison et d'espoir. Pour moi, la guérison viendra de tous les petits
actes du quotidien de chacun envers les autres, de cette compassion, mais pour
revenir vraiment à la normale, nous allons aussi avoir besoin d'un énorme
travail de chercheurs et de scientifiques dévoués partout dans le monde.
Face à ce constat, en voulez-vous au président Trump
de ne pas toujours avoir reconnu l'importance du rôle des
scientifiques ?
Oui. Hélas notre président actuel et certains
dirigeants dans le monde réagissent d'une manière catastrophique face à cette
crise, ils ne donnent pas la priorité à la science, et ils ne prennent pas de
mesures honnêtes et transparentes à un moment où ces valeurs sont cruciales.
Je reste optimiste car je pense que même si cette crise est gravissime,
notre capacité à y faire face ensemble est également énorme. Partout dans le
monde, des gens y travaillent de façon désintéressée et continueront à le
faire.
En France, les déclarations du Professeur Didier
Raoult, par exemple, pourraient laisser certains penser qu’un vaccin ne sera
pas nécessaire….
C’est toujours agréable d'espérer que le virus va
disparaître de lui-même. Mais les meilleurs experts en santé publique que j'ai
rencontrés disent qu’il n'y a aucune raison de penser que c'est vrai. Ce virus
n'a aucune obligation de se comporter comme d'autres virus ou comme nous
pourrions le souhaiter. Les virus sont très complexes et ils nous surprennent
très souvent de manière terrible. Malheureusement, je pense que la seule façon
de s'en sortir c'est en combinant une immense coopération des politiques de
santé publique, beaucoup de recherches scientifiques et beaucoup de
patience.
Tout le monde aujourd'hui cherche un espoir, tout le
monde cherche le prochain remède miracle. Mais en science, il n'y a pas de
miracles. Il y a juste beaucoup de travail et beaucoup de patience. La période
que nous traversons est une excellente occasion pour les scientifiques du monde
entier de réfléchir aux moyens de pouvoir jouer un rôle plus important dans le
débat public et dans l'élaboration des politiques en général. C'est vraiment
crucial que nous le fassions et que nous acceptions cette responsabilité
aujourd’hui. Pour moi, la science ne devrait pas rester dans un
laboratoire. La science ne devrait pas être quelque chose que seuls les experts
passent leur vie à explorer. Pour que la science ait vraiment de l'importance,
elle doit concerner les gens qui ne sont pas scientifiques eux-mêmes. Nous
vivons un moment unique ! Les scientifiques doivent désormais communiquer
clairement et honnêtement avec le grand public et les décideurs politiques. Car
aujourd'hui, même dire ce que nous ne savons pas est d'une importance vitale !
La vaccination est peut-être l'un des sujets les plus
controversés en science actuellement. Il n'y a aucune raison à ça, mais beaucoup de gens
craignent les vaccins. Aujourd’hui face au coronavirus, les
tests vaccinaux sont effectués avec un calendrier accéléré, donc c’est tout à
fait compréhensible que ceux qui s'inquiètent déjà des dangers potentiels des
vaccins en général s'en inquiètent encore plus maintenant. J'espère qu'en vous
parlant en tant qu'humain traversant cette expérience, je peux apporter un peu
de transparence et, espérons-le, un peu d'humanité à cette histoire afin que
les gens puissent comprendre que ce processus est sérieux.